Histoire ordinaire d'une république citoyenne
LA LIBERTE
Sylvie est secrétaire dans une petite entreprise parisienne. Comme la majorité de ses collègues, elle habite en grande banlieue, seule solution pour elle de disposer d'un habitat décent. Les loyers parisiens lui étant bien évidemment inaccessibles.
Chaque jour, elle utilise les transports en commun pour se rendre à son travail. Ce trajet lui coûte 1 heure et demi de son temps le matin et autant le soir pour rejoindre sa maison où elle s'occupera ensuite de sa famille.
C'est en femme libre que Sylvie a choisi de travailler. Nombre de personnes de son entourage ont quant à elles choisi de ne pas travailler tant les diverses subventions légales à l'inactivité les ont poussées à refuser un travail pas assez payé et éloigné de leur domicile. Ces personnes ont pertinemment et logiquement choisi de rester chez elles.
La liberté a un prix que Sylvie paye lourdement ces jours-ci car au motif d'une autre liberté appelée le droit de grève, quelques salariés de la SNCF ont choisi de bloquer les transports publics. Les 3 heures de transport quotidien se transforment alors en un véritable gymkhana pour rejoindre son travail dans les meilleurs délais car Sylvie ne peut se permettre d'être absente.
Sylvie d'origine modeste se sent culturellement un peu solidaire des salariés qui militent pour améliorer leurs conditions de travail. Elle sait que les siennes sont difficiles et conçoit que celles des autres le soient aussi. Ce dernier argument relativise un peu sa galère devenue quotidienne après 6 jours consécutifs de grève. Liberté de travailler pour Sylvie et Liberté de grève pour les autres.
L'EGALITE
Ce que Sylvie ignore, ce sont les motifs précis du mécontentement de ses alter-ego du service public.
Elle ignore que les grévistes de la SNCF refusent le plan "Cap Clients" qui a pour vocation de mettre l'entreprise au service de ses clients.
L'entreprise dans laquelle travaille Sylvie a toujours été au service de ses clients sinon voilà longtemps qu'elle aurait mis la clé sous la porte.
Elle ignore que les grévistes de la SNCF militent pour maintenir leur retraite à 50 ou 55 ans calculés sur les toutes dernières années d'activité alors que Sylvie ne partira probablement pas en retraite avant 65 ans et n'a aucune idée de quelle manière sera payée son hypothétique pension pourtant bien méritée. Elle ignore aussi que cette retraite à 50 ans ou 55 ans ne peut être financée par la seule caisse de retraite des bénéficiaires de la SNCF.
Par solidarité, la caisse de retraite du privé à laquelle Sylvie cotise chaque mois a l'obligation de combler une partie du trou de la caisse de retraite public incapable d'honorer seule ses engagements sociaux. Comme cela ne suffit pas, le solde est financé par l'impôt sur le revenu dont Sylvie malgré ses revenus modestes vient de s'acquitter comme une minorité de français.
Elle ignore encore que le salaire net qu'elle touchera en fin de mois, pour 39 heures de travail efficace par semaine est sensiblement inférieur au salaire moyen du salarié dudit service public pour des heures de travail effectives que personne ni même la direction ne sait calculer exactement.
Elle ignore enfin que la direction de la SNCF accordera comme d'accoutumée à ces revendications une fin favorable, augmentant les salaires conformément à la demande des grévistes et en payant fort probablement les jours de grève. Sylvie par contre se verra déduire en fin de mois les heures de retard qu'elle aura accumulé pendant cette semaine de progrès social.
Ignorer tout cela permet sans doute de mieux accepter cette conception de l'Egalité
LA FRATERNITE
Sylvie est fraternelle puisqu'elle paye chaque jour de ses propres deniers le statut de ce service public.
Cette semaine, elle paye un petit extra qui se traduira sur sa feuille de paye, par son manque de sommeil, par le stress d'arriver en retard au travail, puis d'arriver en retard à la maison.
Demain, toujours fraternelle, elle continuera à payer l'addition lorsqu'elle continuera à travailler pour payer la généreuse retraite des salariés de la SNCF de sa génération mais partis 15 ans plus tôt.
Liberté, Egalité, Fraternité ... nous voilà rassurés, le droit de grève respecte bien les bons principes de notre république. Il est donc bien constitutionnel.
N'est-il pas alors scandaleux que certains puissent évoquer un service minimum ?
N'est-il pas scandaleux que certains puissent penser sans bien sûr oser le dire que nous pourrions peut-être interdire le droit de grève dans les entreprises publiques qui sont publiques car intrinsèquement stratégiques et ne peuvent en cela être abandonnées à des intérêts catégoriels qu'ils soient d'ordre capitaliste ou syndical ?
Au fait, Sylvie ne travaille-t-elle pas avec vous ?
Si elle travaille avec vous surtout ne lui dites rien de tout cela...
Toute similitude avec des situations ou personnages réelles ne seraient que pur hasard.